Marketing et hip-hop : mariage cohérent ?

05/10/2017

Le hip-hop est, quasiment depuis ses débuts, un genre musical soluble dans la communication des marques. Ces collaborations sont parfois poussées, le hip-hop s’intégrant comme patrimoine fondateur de l’identité d’une marque.


Dans Brand Culture : développer le potentiel culturel des marques, Daniel Bô, Matthieu Guével et Raphaël Lellouche rappellent l’importance de dépasser la simple approche communicationnelle discursive, pour au contraire structurer l’entreprise sur un socle culturel se voulant pérenne et authentique.

Dans cette perspective, la musique joue un rôle essentiel, en tant que vecteur de lien universel, consolidant le rapport avec le public. D’une part la musique peut remplir une large palette d’émotions, d’autre part, l’association à certains genres facilite la mise en place d’une identité.

Le hip-hop, genre clivant, engagé et possédant des valeurs fortes a séduit plusieurs marques. Coup d’oeil sur trois d’entre elles.

SPRITE, LE PIONNIER

Pionnière dans l’association avec le hip-hop, Sprite ouvre la voie dans les années 80, avec une publicité menée par Kurtis Blow, lequel rappe sur une musique réalisée pour l’occasion.

Cette première réussite a été suivie d’autres initiatives, dans lesquelles des rappeurs à notoriété tels que Heavy D et Kid’N’Play en 1991, A Tribe Called Quest en 1994, Pete Rock, CL Smooth et Grand Puba en 1995, KRS-One & MC Shan en 1996, Nas & AZ en 1997, ou encore Missy Elliott et Common en 1998, vendent les vertus de la boissons gazeuse.

En 2015, Sprite collabore avec le magazine The Fader et lance la campagne Obey Your Thirst, mettant en scène les rappeurs Drake, Nas, Vince Staples et Isaiah Rashad. Le premier épisode de la série, avec Drake, a dépassé le million de vues. La même année, Sprite lance la collection Obey Your Verse, en produisant des canettes sur lesquelles sont imprimées des paroles de rappeurs comme Drake, Notorious B.I.G., Nas et Rakim.

Mais la marque multiplie également les initiatives événementielles, en ouvrant le Sprite Corner au 188 Bowery à New York, un lieu promouvant la musique, l’art et la culture avec des workshops et des concerts gratuits.

https://youtu.be/i1sX-zxrv58

En 2017, la marque renouvelle l’opération de Obey Your Verse, mais cette fois en sollicitant des rappeurs de la nouvelle génération : Vince Staples, DRAM, Vic Mensa, et Lil Yatchy, ce dernier reprenant son titre Minnesota pour la pub Wanna Sprite.

Pour Bobby Oliver, directeur marketing de Sprite, il s’agit d’une relation vertueuse. Selon lui, Sprite a donné une voix au hip-hop, et lui a rendu hommage, cette longue relation a permis à la marque de gagner en crédibilité auprès d’un public précis.

Néanmoins ce partenariat ne saurait occulter le rôle de la boisson gazeuse dans la consommation du lean, ou purple drank, mélange à base de codéine très apprécié des rappeurs.

HENNESSY, UNE LONGUE HISTOIRE

Le constat est édifiant. Une simple recherche sur le site Genius, donne à voir la liste interminable de morceaux de rap qui citent la marque de cognac Hennessy.

Pour autant cet attachement remonte aux XIXe siècle, ou l’on trouve des documents attestant de livraisons de cognac aux Etats-Unis. L’avénement de Paris comme capitale du jazz a  également permis à un grand nombre d’artistes afro-américains de s’essayer à la boisson. Le point de bascule a lieu dans les années 90, ou les rappeurs prennent comme habitude de citer la marque, qui, consciente de cet interêt, met à profit les artistes. En 2006 est lancée la résidence Hennessy Artistry, qui, dans la même perspective que les workshops de Sprite, invite des musiciens à se produire. L’édition de 2010 est accompagnée d’un film, The Art of Blending, réalisé par Thibaut de Longeville et mettant en scène Q-Tip et The Roots.

Quelques années plus tard, c’est Nas qui endosse la marque, lequel se déplace en France pour apparaitre dans la campagne Wild Rabbit. En 2014, Hennessy persévère et s’associe avec Noisey pour réaliser The Rap Monument, ou Hudson Mohawke enregistre 30 rappeurs pour une session en studio.

REEBOK, REVERS ET RÉUSSITE 

Dans le panthéon des marques proches du hip hop, Reebok occupe une bonne place. En s’associant avec Jay-Z en 2003, Reebok réalise un partenariat audacieux et réussi, au moment ou l’artiste explose avec son album Blueprint 2. La marque se paye même le luxe de réunir dans une même publicité 50 Cent & Jay-Z.

https://youtu.be/_brR74KPtrc

Mais cette stratégie de collusion avec le hip hop est mise en pause, à la suite d’échecs, jusqu’en 2014. Cette année la, Reebok renoue avec le hip hop en signant un contrat de sponsoring avec Kendrick Lamar. Pendant trois ans, la stratégie semble avoir été de miser essentiellement sur le rappeur comme pilier culturel de la marque. Ce partenariat passe par la création d’un hashtag dédié (#ThisIsKendrick), d’un modèle de chaussure, et de différents formats vidéos (Be Ventilated, Classic, la web-série Hold Court, ou le LA Mobile Concert).


Mais la belle histoire se termine en aout 2017, quand Kendrick Lamar est finalement débauché par Nike, et rejoins ainsi Kanye West parmi les nombreux artistes qui ont collaboré avec la marque à la virgule. Depuis, Reebok a recruté Future pour assurer la relève.


Ces mouvements fréquents des rappeurs entre les marques révèlent une potentielle schizophrénie. En effet, on peut supposer que ces transferts d’artistes créent la confusion dans l’identification des marques. Kendrick Lamar dispose à la fois d’un passif avec Reebok et Nike, Nas avec Sprite et Hennessy. Le risque de perdre le public dans un amoncellement de références est réel.


Néanmoins, ces allers et retours des rappeurs ne sauraient éclipser la réussite de la construction d’une posture cohérente pour Sprite, Hennessy et Reebok. En reprenant les codes spécifiques du genre, mais aussi en relevant ses parti-pris et ses valeurs, ces trois marques ont savamment pu utiliser ce langage si spécifique et se le réapproprier, sans toutefois le trahir.

Tribune signée Florian Perraudin-Houssard, Urban Music Expert
& Laurent Cochini, Managing Director de Sixième Son
Publiée dans l’ADN.